Dessiner un paysage imaginaire à partir de tâches d’encre
Paysage imaginaire, à l’encre de chine et gouache blanche (et un peu de feutre fin noir indélébile)
Et si l’on créait à partir de tâches ?
La tâche est souvent associée à l’erreur, l’accident, ce que l’on veut éviter. Or en arts plastiques, elle peut être le départ d’une belle aventure dans l’imaginaire et la création. Dans cet article, je vous propose le projet de création d’un paysage à partir de tâches. Ce projet s’inspire de deux artistes, plus connus pour leurs écrits que pour leurs dessins : Victor Hugo et Georges Sand.
Victor Hugo et ses tâches d’encre
Victor Hugo construisait des images à partir de tâches d’encre. Il exploitait l’accident, l’imprévu pour créer un paysage, un nuage, une scène d’orage…
Dessin imaginaire à partir de tâches d’encre – Victor Hugo. Pour plus d’information, consulter les autres dessins réalisés à partir de tâches par Victor Hugo sur le site de la BNF : cliquer ici
Georges Sand et ses « dendrites »
Georges Sand aussi créait des paysages imaginaires avec ses célèbres « dendrites » ou « aquarelles à l’écrasage ». Sa technique : écraser de la peinture aquarelle, appliquée sur une feuille, avec un carton absorbant. A partir des effets aléatoires produits par cet écrasement, elle imaginait des paysages qu’elle définissait plus précisément à la peinture.
Dendrite de Georges Sand. Photo extraite du site Muséosphère (lien ici)
A vous de créer à partir de tâches !
Je vous propose un atelier inspiré des travaux de ces deux artistes : peindre un paysage imaginaire (ou autre chose) à partir de tâches d’encre de chine qui seront retravaillées avec de la gouache blanche. Il s’agit moins de chercher un résultat particulier que de se lâcher, de savourer l’instant, de se relier à son intuition, son imaginaire. Je me suis prêtée au jeu et vous livre les différentes étapes par lesquelles je suis passée. J’insiste sur le fait qu’il n’y a pas un résultat particulier à atteindre, puisque vous allez vous laisser guider par le hasard et laisser faire votre imagination. Faites vous confiance et amusez vous !
Le matériel dont vous avez besoin :
- Un pot d’encre de chine
- Deux pots d’eau (un pour nettoyer le pinceau, un pour prélever de l’eau propre)
- Un pinceau assez épais dans sa base pour retenir l’encre et assez fin au bout pour peindre certains graphismes. Si vous n’en avez pas, vous pouvez prendre deux pinceaux, un épais (pour humidifier le papier et projeter l’encre) et un fin. Dans tous les cas, pensez à bien rincer vos pinceaux après chaque utilisation d’encre et à les nettoyer au savon à la fin, car l’encre de chine est indélébile au séchage.
- 2 feuilles de papier un peu épaisses, si possible dont le gramme est supérieur à 160g/m2.
- Du papier cellophane
- Une plume (ou stylo plume sans cartouche) ou feutre noir indélébile pour les graphismes.
- De la gouache blanche
- Un gant de toilette ou papier absorbant (pour essuyer vos pinceaux)
Mise en condition :
Préparez votre matériel devant vous. Vous pouvez mettre une musique relaxante pendant cet instant créatif, cela vous aidera à vous relâcher, à être dans l’instant. Si au contraire, vous avez besoin de vous dynamiser avec de la musique rythmée, faites vous plaisir. Le principal étant de vous connecter à votre état d’esprit et à vos besoins du moment.
La diffusion
- Mouillez votre feuille de manière aléatoire à l’aide de votre pinceau imbibé d’eau. Il peut rester des endroits secs (ce qui permettra de garder des zones blanches) mais veillez à ce que les zones humides le soient suffisamment.
- Faites tomber quelques gouttes d’encre concentrée sur les zones humides. Observez ce qui se produit. La diffusion de l’encre est toujours captivante. Vous pouvez ensuite projeter de l’encre à différents endroits, en tapotant sur le manche du pinceau. L’encre se diffusera sur les zones humides et se figera sur les zones sèches. Veillez juste à ne pas recouvrir toute votre feuille d’encre concentrée, au risque de ne plus rien voir.
Tâches d’encre de chine difusées sur papier humide par application au pinceau et projections.
La texturisation (ou l’écrasage)
- Avant que l’encre ne sèche, poser un papier cellophane sur votre feuille en le plissant par endroit. Laissez sécher. Pendant ce temps, vous pouvez faire un autre essai sur la seconde feuille en variant les approches, par exemple, en projetant directement de l’encre un peu diluée sur le papier sec à différents endroits. Le fait de diluer l’encre évite que vous vous retrouviez avec du papier tout noir. Puis sur cette base humide de valeur moyenne, vous pourrez projeter de l’encre concentrée avant d’y apposer à nouveau une feuille de cellophane.
- Une fois les encres sèches, retirer délicatement le cellophane. Vous observerez différentes textures, matières et différentes valeurs aussi (du blanc, du gris et du noir ou gris foncé)
L’imprégnation :
- Tournez votre feuille dans tous les sens et laissez vous transporter par votre imagination. Prenez tout votre temps, plissez les yeux, regarder votre feuille sous différents angles, à différentes distances… Que voyez vous ? Il peut s’agir de paysages mais aussi de personnages, de végétaux… Notre cerveau a la faculté de terminer certaines formes non finies. C’est-à-dire que très peu d’informations lui suffisent à percevoir une forme. Dès qu’une forme émerge demandez-vous comment elle peut s’associer avec le reste. Parfois le reste ne colle pas avec ce que l’on imagine c’est-à-dire que certaines formes nous gênent pour créer un ensemble cohérent. Ce n’est pas grave, nous effaceront les zones gênantes avec de la gouache. C’est justement là que commence le travail d’imagination. Il vous suffit d’un point de départ pour imaginer le reste.
- Peut-être voyez-vous des formes, mais vous n’arrivez pas à imaginer comment les lier entre elles ? Ce n’est pas grave, vous pourrez les définir séparément et les découper puis vous les assemblerez en les repositionnant comme vous le souhaitez dans une composition qui vous convient.
Pour ma part, j’ai retourné la feuille et j’ai été attirée par un amas de formes me rappelant des arbres, des palmiers. A l’arrière plan, je devinais des montagnes. Plus bas, je voyais comme des rochers se reflétant dans l’eau. Sur la droite à l’avant plan et au plan intermédiaire, d’autres rochers. J’avais un point de départ sans pour autant avoir une vue précise de ce paysage. J’ai donc commencé par définir les arbres avec un feutre noir.
Zoom sur la zone de palmiers.
La création :
- Après avoir précisé les premières formes, observez ce qui pourra être gardé dans votre composition et ce qui pourra être retravaillé (masqué, précisé, redéfini) avec la gouache, l’encre et/ou le feutre noir. Vous pouvez mélanger la gouache et l’encre de chine pour obtenir des valeurs intermédiaires entre le blanc et le noir (des nuances de gris). Prenez votre temps, respirez, faites des pauses. Observez vos pensées : si vous êtes dans l’instant, tout va bien, si vous commencez à vous crisper, respirez profondément, allez boire un thé ou une tisane, puis revenez plus posément sur votre création.
- Si vous avez opté pour des formes individuelles, sans lien apparent entre elles (ou dans des sens totalement inversés), vous pouvez découper ces formes. Observez les et inventez un moyen de les associer en les collant sur un support. Vous pouvez peut-être y ajouter de la couleur (juste un fond coloré par exemple), ou une harmonie colorée de 3 couleurs qui se répètera sur chacune des formes et les liera dans un ensemble cohérent. Les possibilités sont infinies. Ne vous posez pas trop de questions et amusez-vous !
J’ai commencé à ajouter de la gouache blanche pour représenter l’eau et supprimer les formes qui ne m’intéressent pas. Ces premières couches ne sont pas définitives, elles seront ajustées après avoir précisé l’ensemble.
Ensuite j’ai précisé le ciel au loin et défini du même coup ce que je conservais pour représenter la montagne de l’arrière plan. Je me suis également amusée à représenter de l’écume à l’avant plan. J’ai projeté de la gouache blanche que j’ai écrasée ensuite avec une gant sec. J’ai également dessiné quelques autres palmiers à droite, avec le pinceau et une gouache grisée. Inutile d’être précise, j’ai juste souhaité suggérer les formes. Rien n’est encore définitif à ce stade. Avec la gouache et l’encre de chine, on peut retravailler à l’infini. En revanche, il faut veiller à conserver les zones texturées intéressantes qu’il me sera difficile de reproduire si je les recouvre.
J’ai souhaité représenter le reflet de la montagne noire sur l’eau. Mais à ce stade, je trouve que la surface de l’eau au loin est trop agitée. Je sens qu’il est plus intéressant de la rendre plus calme car ce qui est loin est souvent moins précis à l’oeil. Je recherche également une cohérence au niveau du traitement de la lumière. Je décide que cette lumière vient de gauche et le soleil est bas. J’aime bien la lumière qui éclaire la montagne au loin. Je me dit qu’il serait bien de donner plus de texture à l’avancée noire à l’avant plan à droite.
Voilà, l’ensemble me paraît cohérent et je suis contente d’avoir créé un paysage imaginaire. Il peut certainement être encore optimisé mais ce n’est pas ce que je recherche. J’ai juste cherché à vivre un moment de création en suivant mon intuition et non mon mental (celui qui dit « il faut »). Il s’agit d’un paysage figuratif car j’ai tendance à imaginer des formes figuratives, mais ceux qui souhaitent créer des compositions abstraites trouveront dans cet atelier de quoi nourrir leur imagination.
J’espère que cet article vous aura inspiré. Si vous souhaitez tester ce type de création à l’atelier Bulle Créative, n’hésitez pas à me contacter.
Portez-vous bien !